Notre matou à nous n’est pas celui de Schrödinger. Il est bien vivant. Il donne son coup de patte, en espérant qu’il ne sorte pas les griffes au risque de rayer la carrosserie de la voiture autonome dont il rêve. J’ai nommé Jean-François Desessard.
Alors comme cela mon cher Jean-François vous vous livrez à des observations sur les réseaux sociaux, riches d’enseignement m’avez-vous précisé. Expliquez-nous.
Disons que j’aime y poster certains articles et y faire quelques remarques, mon objectif étant de susciter les réactions de lecteurs potentiels, en particulier sur des sujets « tendances » ayant un fort contenu technologique. Récemment, j’ai donc choisi la voiture autonome qui passionne ô combien les médias et semble faire fantasmer dans les chaumières. Dans un premier temps, j’ai posté un article favorable au développement de ce type de véhicule accompagné de quelques lignes d’introduction afin de vanter ses supposés mérites. J’ai opté évidemment pour le réseau professionnel Linkedin qui jouit d’une certaine notoriété pour son sérieux et celui de beaucoup de ses utilisateurs et abonnés. Il est vrai que l’on y croise en particulier beaucoup de chercheurs, d’ingénieurs, de créateurs de start-up et de patrons de PME, autrement dit une population censée réfléchir.
Oui, et alors, qu’avez vous observé ?
Des réactions enthousiastes, une multiplication des likes à propos de l’article posté, des commentaires dithyrambiques, les uns vantant les multiples avantages qu’offre celle que l’on présente comme la voiture de demain (diminution des accidents de la route, réduction de la consommation de carburant, optimisation de la gestion du trafic … j’en passe et des meilleurs), d’autres commentaires prévoyant son arrivée pour les années qui viennent, en précisant que tel ou tel constructeur l’a annoncé, c’est certain, que chaque citoyen disposera très bientôt d’une sorte de salon sur roues dans lequel il pourra jouer en famille ou avec des amis entre Paris et Marseille pendant que ce véhicule quasi magique s’occupera du reste, c’est-à-dire du plus important, à savoir la conduite. Et tout le monde ou presque de gober sans broncher le moins du monde cette jolie histoire. Mon post et son article ont plu puisqu’ils s’inscrivent dans la tendance du moment.
Cette jolie histoire comme vous dites, ne vous séduit-elle pas Jean-François ?
Personnellement, pas du tout, mais il est certain qu’elle en fait fantasmer beaucoup parmi nous, en particulier mes chers confrères et consœurs journalistes, vous savez comme je les porte dans mon cœur mon cher François, pour lesquels ce type de sujet est du pain bénit puisqu’il permet de faire rêver le lecteur tout en affirmant trop souvent n’importe quoi à longueur de colonnes. Curieusement, tous ces zélateurs de la voiture autonome, vous n’allez plus du tout les entendre si vous vous amusez à poster un article à présent très critique à propos du même sujet, accompagné là encore de quelques mots d’introduction tout aussi critiques. Plus un seul « like » pour un article qui n’est alors quasiment pas vu ou lu. Pas même un commentaire critique, argumenté, histoire d’entamer le débat. Non, la communauté Linkedin dans son ensemble vous ignore totalement, vous l’iconoclaste, l’homme qui a osé mettre en doute ce que l’on annonce comme « une révolution ». Il est vrai qu’au pays des technologies, la révolution semble être quotidienne, du moins dans les mots.
Bon Jean-François, on a bien compris que vous êtes très sceptique quand au développement à court ou moyen terme de la voiture autonome, du moins telle qu’il est présenté par certains.
Je crois surtout que l’on oublie encore une fois, collectivement, de prendre le recul nécessaire face à ces supposées visions de l’avenir que l’on tente de nous vendre régulièrement, et de plus en plus, via la complicité des médias qui, pour la plupart, semblent avoir définitivement perdu ce qui leur restait d’esprit critique. Que l’on me comprenne bien : ce n’est pas la voiture autonome qui me hérisse. Le lecteur passionné de Jules Verne que j’ai été et que je suis encore aime profondément le rêve et comme je souhaiterais que l’imagination et la créativité fassent partie des programmes de ceux qui prétendent fixer le cap de notre avenir. L’idée d’une voiture autonome n’est d’ailleurs pas nouvelle. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller consulter certains articles de vulgarisation scientifique publiés au début des années soixante. On y annonçait déjà leur commercialisation pour l’an 2000. Certains allaient même jusqu’à les doter d’une capacité à voler. Or dans quelques mois s’achèvera la deuxième décennie du 21èmesiècle, et nos voitures, malgré les énormes progrès accomplis par les constructeurs, sont toujours aux mains des conducteurs.
Mais alors, pourquoi ce nouveau coup de gueule ?
Ce qui me désole en fait, c’est d’observer que dans notre société bien trop bavarde, l’esprit critique ne cesse de se réduire comme peau de chagrin. Il suffit que l’une de ces pythies californiennes qui rendent régulièrement des oracles quant à notre avenir et celui de la planète, je pense en particulier à ce cher Elon Musk, affirme que l’avenir sera à l’essor rapide de la voiture autonome ou ne sera pas, pour que tout le monde se prosterne sans émettre le moindre doute et, surtout, ose se poser la seule question qui vaille : A quoi va donc servir la voiture autonome ? Certes, il n’est pas besoin d’être devin pour envisager certaines de ses applications potentielles dans différents secteurs. En revanche, faire croire qu’elle sera très bientôt la voiture de chacun d’entre nous n’est pas très sérieux. Alors certes cette vision n’est sans doute pas pour déplaire aux concepteurs et aux fabricants de puces qui sont en droit d’envisager de juteux marchés, eux dont les équipements présents sur leurs sites de production sont si coûteux qu’ils les condamnent à produire coûte que coûte de la puce au point d’en truffer la planète entière. Pour autant, le président d’Intel, le géant mondial du secteur des semi-conducteurs n’a pas hésité en 2016 à rappeler qu’un véhicule autonome allait générer et consommer pour huit heures de conduite quelque 40 téraoctets de données, soit l’équivalent d’une quarantaine de disques durs d’ordinateurs. « En circulation, chacun de ces véhicules produira autant de données que 3 000 utilisateurs d’Internet », a-t-il ajouté. La voiture autonome n’est-elle donc pas une hérésie à une époque où l’on nous rabâche quotidiennement, et avec raison, qu’il est urgent de réduire drastiquement notre consommation énergétique ? En guise de conclusion, permettez-moi d’affirmer haut et fort mon cher François que la technologie doit être au service du plus grand nombre et non servir les intérêts d’une petite caste boursière.
Votre commentaire