La chronique de Quentin Hoffer @Connections/Sème ta science : Dans cette chronique, je vous propose de répondre à une question “simple” : la fin de la civilisation industrielle peut-elle être un outil de médiation scientifique ? Dit comme ça c’est peu engageant. Mais pour Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gautier Chappelle, la réponse est oui.
Dans leur dernier ouvrage “Une autre fin du monde est possible”, ces trois auteurs proposent des pistes pour apprendre à vivre avec l’effondrement de la société telle que nous la connaissons. Leur crédo, c’est la collapsologie dont nous avons parlé rapidement avec Usbek et Rica. C’est avant tout une approche systémique qui vise à regrouper et analyser des données produites par des scientifiques de domaines très différents. Cela va de la climatologie à l’économie en passant par la psychosociologie. Leur premier livre “Comment tout peut s’effondrer” paru en 2015 s’attachait à définir les contours de cet effondrement sociétal : rareté des ressources, chute d’un système économique basé sur la confiance, dérèglement climatique, et caetera, et caetera. Leur nouveau livre s’attaque quant à lui aux aspects sociaux et sociétaux du changement. Une notion centrale de leur propos est la nécessité de proposer de nouveaux récits pour embarquer les individus dans une Histoire partagée.
Indépendamment du postulat défendu par les auteurs, ce qui est particulièrement intéressant, c’est que cette proposition de nouveaux récits se base elle-même sur une mise en récit des données scientifiques. La collapsologie, c’est certes une approche analytique, mais c’est également un travail narratif autour de disciplines scientifiques qui ont parfois du mal à trouver leur place auprès du grand public. Il suffit de demander autour de vous qui a lu le dernier rapport du GIEC, le résultat risque d’être peu enthousiasmant.
Cette notion de mise en récit, dont on entend beaucoup parler sous son appellation anglo saxonne “storytelling”, n’est pas nouvelle. Elle est utilisée depuis longtemps en communication politique, en marketing et en sciences humaines et sociales. Ce qui est plus récent, c’est qu’elle apparaît de plus en plus dans des ouvrages de culture scientifique notamment autour des sciences naturelles. Regardez l’impact médiatique des livres de Pablo Servigne, qui écume les rédactions et les émissions de radio. Si on compare à par exemple – et sans dénigrer son excellent travail – ceux de Philippe Bihouix (comme “l’âge des low techs”), celui-ci n’a pas bénéficié de la même exposition. Les deux ouvrages partagent pourtant un propos central assez proche. On en vient à se demander si un bon récit ne devient pas nécessaire pour assurer la diffusion massive de la connaissance scientifique, indépendamment de la qualité de la recherche effectuée.
Ceci ne va pas toujours de soi pour les scientifiques, notamment à cause d’une vision du récit parfois perçu comme uniquement “artistique” ou “fantaisiste” : en bref, de la science-fiction. Pourtant, la narration répond à un besoin humain de sens et d’identification. Confronté à une l’avalanche de données et d’indicateurs complexes, le grand public ne retrouve pas forcément ce sens. On peut donc s’interroger : les scientifiques sont-ils voués à raconter des histoires pour être écoutés ? Et les médiateurs scientifiques vont-ils devoir devenir des conteurs ?
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