Les oubliées de la science #J-F Desessard

S’il y a un monde où l’égalité homme femme a encore beaucoup de progrès à faire, c’est celui de la science. Et ce monde là, je le connais bien.

IMG_0183Vous n’exagérez pas un peu Jean-François. Y’a quand même eu des progrès depuis plusieurs décennies, non ?

C’est certain. Cela dit, prenez l’Académie des sciences. En 2016, cette illustre institution composée de 262 membres ne comptait encore que … 28 femmes ! En plus de 30 années de journalisme scientifique, j’ai eu le plaisir et la chance de visiter de nombreux laboratoires et d’y rencontrer beaucoup de chercheurs parmi lesquels un certain nombre de femmes très brillantes qui mériteraient très largement au regard de la qualité de leurs travaux d’entrer à l’Académie des Sciences. Il faut quand même se rappeler qu’il a fallu attendre 1979, c’était hier, pour qu’une première femme, en l’occurrence la mathématicienne et physicienne Yvonne Choquet-Bruhat, y soit élue. 313 ans auront donc été nécessaires pour que ces messieurs, pourtant dotés, du moins l’espère-t-on, d’un degré d’intelligence au-dessus de la moyenne, acceptent la présence d’une femme parmi eux.

Alors oui, des progrès sont notables, certes, mais nous partons de très loin. Rendez-vous compte que dans la première moitié du XVIIIème siècle, la remarquable mathématicienne et physicienne qu’était Emilie du Châtelet, une femme qui parlait d’égal à égal avec Maupertuis, Euler ou encore Réaumur, expérimentait brillamment, traduisait Newton et faisait connaître l’œuvre de Leibniz, si elle fut membre de l’Académie des sciences de l’Institut de Bologne ne put jamais ne serait-ce qu’assister à une séance de l’Académie des sciences, tout simplement parce qu’elle était une femme et qu’à cette époque, l’enseignement supérieur n’était pas ouvert aux femmes.

Et plus près de nous, comment ne pas citer le nom de Marie Curie, qui décrocha le Prix Nobel de Physique en 1903 puis celui de chimie en 1911, restant ainsi à ce jour le seul être humain à avoir été lauréat de deux prix Nobel scientifiques. Et pourtant, l’Académie des Sciences, encore elle, lui préférera Edouard Branly, l’homme de la télégraphie sans fil. Certains argueront que onze ans plus tard, Marie Curie obtint réparation, si l’on peut dire, en devenant la première femme à être élue à l’Académie Nationale de Médecine. Sauf que durant les décennies suivantes, rien ne fut fait dans cette prestigieuse institution pour rappeler que cette grande dame en faisait partie. Et ce n’est qu’à l’occasion de la célébration du 150èmeanniversaire de sa naissance, en 2017 qu’une médaille gravée à son effigie fut apposée à l’entrée de la salle des séances. La réparation, si j’ose dire, aurait été totale si l’un des membres de cette académie n’avait accueilli la proposition de lui rendre hommage par cette indécente réflexion : « encore cette gonzesse ! ».

En effet, ça manque d’élégance, tout comme semble en avoir manqué et continue apparemment d’en manquer James Watson, le co-découvreur avec Français Crick de la structure en double hélice de l’ADN, à l’égard de Rosalind Franklin.

Oui, en effet, et pourtant, quand j’étais étudiant dans les années 70, Watson et Crick était pour moi l’exemple même des scientifiques à imiter. Je n’avais pas encore lu l’ouvrage de James Watson intitulé « La double hélice », dans lequel il évoquait Rosalind Franklin en la présentant notamment comme un être acariâtre. Tout ceci manquait d’autant plus d’élégance que la chercheuse, considérée aujourd’hui comme une pionnière de la biologie moléculaire, était décédée en 1958, l’Américain Watson allant jusqu’à oublier le rôle important qu’avait joué cette physico chimiste britannique dans les travaux que l’académie suédoise allait récompenser en 1962 en décernant son prix Nobel de physiologie ou de médecine à James Watson, Francis Crick et Maurice Wilkins. Et ce n’est que bien plus tard, au début des années 2000, que je découvris l’existence de cette chercheuse tout simplement oubliée

Le pire est que non content d’ignorer le rôle important qu’à été celui de Rosalind Franklin autour de ces travaux sur la double hélice d’ADN, James Watson, à 90 ans passés, persiste et signe.

Absolument. Ce vieil homme, que j’avais admirer autrefois, et qui en 2007 s’est fait viré du Cold Spring Harbor, un célèbre institut de recherche de Long Island, aux Etats-Unis, pour des propos racistes, n’a cessé tout au long de ces années de contester l’importance de ce rôle que tous les historiens des sciences s’accordent à reconnaître à Rosalind Franklin. Curieusement invité en mai dernier par le Collège de France pour y donner une conférence, il a préféré prévenir qu’il n’était pas question pour lui de parler de la chercheuse britannique. Etonnant, non ?

Assez triste même l’acharnement de cet homme vis-à-vis de cette remarquable femme qu’il souhaite oublier définitivement. Mais j’imagine qu’il existe d’autres exemples, peut être pas aussi fort, de femmes scientifiques oubliées ou ignorées ?

Oui, il en existe un certain nombre et je pense qu’elles sont bien plus nombreuses qu’on ne le croit à avoir été oubliées. D’ailleurs, beaucoup d’entre elles resteront sans doute ignorées à jamais. Parmi les autres, il y a évidemment la physicienne autrichienne naturalisée suédoise Lise Meitner dont les travaux sont à l’origine de la découverte de la fission nucléaire qui vaudra le prix Nobel de chimie à l’allemand Otto Hahn en 1944. Alors certes, la recherche n’est pas un long fleuve tranquille. Preuve en est que l’on y croise, pas si rarement, des gens malhonnêtes prêts à dérober les idées de leurs collègues, voire à s’attribuer leurs travaux, pour se bâtir une carrière. Et dans cette course effrénée aux honneurs ou au crédits, les femmes ont payé et paient encore un lourd tribut.

Je crois savoir que vous souhaiter ajouter un petit quelque chose en lien avec l’actualité.

Le 2 octobre dernier, l’Académie royale des sciences a attribué le prix Nobel de physique à deux hommes, l’américain Arthur Ashkin et le français Gérard Mourou, et une femme, la canadienne Dona Strickland. Aussitôt, mes confrères et consoeurs du monde entier se sont précipités sur Wikipédia pour y glaner quelques informations. Or s’il existait des fiches pour les deux physiciens, aucune hélas n’était disponible pour la physicienne. Preuve que le chemin à faire est encore long qui plus est si l’on précise que Dona Strickland est seulement la troisième femme, je dis bien la troisième, à obtenir le prix Nobel de physique en 117 ans

Retrouvez les chroniques de Jean-François sur : http://www.jfdandco.fr/chroniques.html

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